1900 – 1993
Il est d’usage d’associer à un lieu emblématique le nom d’une personne au parcours, à la trajectoire ou à la vie marquante. Il s’agit ce faisant de rendre hommage, de se souvenir et surtout d’inspirer les générations étudiantes successives de notre faculté. Marquante, inspirante, voilà des qualificatifs qui conviennent parfaitement à la vie de Charlotte Béquignon-Lagarde.
Étudiante puis docteure en droit de l’université de Caen, première femme avocate inscrite au Barreau de Caen, première femme lauréate du concours d’agrégation des Facultés de droit et, quelques années plus tard première femme à devenir magistrate en France, Charlotte Béquignon-Lagarde est une pionnière. Par ce parcours exceptionnel débuté ici, à Caen, et placé sous le sceau de la théorie et de la pratique, le nom de Charlotte Béquignon-Lagarde est particulièrement évocateur des fonctions très variées qui seront associées au Tribunal à la Faculté.
Petite-fille du latiniste Emile Thomas (1843-1923), Charlotte Béquignon-Lagarde est née à Lille le 8 octobre 1900. Après des études supérieures à la faculté de Droit de Caen entamées à 19 ans, elle obtient sa licence en 1922.
En 1925, elle soutient sa thèse de Droit privé sur “La dette de monnaie étrangère” et devient, ainsi, docteure en droit à 25 ans. En 1931, Charlotte Béquignon-Lagarde est lauréate de l’agrégation des facultés de droit privé – section de droit privé et de droit criminel – faisant d’elle la première femme à réussir ce concours, à une période où la femme mariée ne dispose pas de la capacité juridique de s’y inscrire sans l’autorisation de son mari.
Suite à l’entrée en vigueur de la loi du 11 avril 19461, “tout Français, de l’un ou l’autre sexe, répondant aux conditions légales, peut accéder aux fonctions de la magistrature”. Le 20 mai 1946, Charlotte Béquignon-Lagarde écrit au ministre de la justice, Paul-Henri Teitgen :
“J’ai l’honneur de poser ma candidature à un poste de conseiller à la Cour de cassation. Je voudrais lorsqu’un poste à la Cour de cassation sera libre, ne pas me voir écartée uniquement parce que je suis une femme. Ma destinée a été d’enfoncer les portes. J’ai été la première lauréate du concours général des facultés de droit en 1922; à Caen, la première femme avocate, et la première docteure en droit; la première agrégée des facultés de droit en 1931 et, jusqu’à ce jour, la seule en droit privé.” 2
Charlotte Béquignon-Lagarde
Par décret du 10 octobre 1946, Charlotte Béquignon-Lagarde est intégrée à la Cour de cassation, en vertu d’une disposition permettant de nommer un professeur des universités au sein de cette Haute Juridiction. Affectée à la chambre sociale, elle devient ainsi la première femme à entrer dans la magistrature.
Passionnée par le droit rural, son activité scientifique se concentre sur le statut du fermage. Ses travaux de recherche lui donnent l’occasion de contribuer au statut des fermiers étrangers puis, dans le prolongement, à l’interprétation de nombreuses conventions internationales sur la condition des étrangers.
En 1949, elle est sollicitée par le Smith College (Northampton, Massachusetts), université connue pour être la plus grande université pour femmes des États-Unis, qui souhaite honorer douze femmes d’exception et leur délivrer un doctorat honoris causa.
En 1959, elle est nommée membre du Tribunal des conflits dont elle devient vice-présidente de 1962 à 1965. Élevée au rang de Commandeure de la Légion d’honneur en 1964, Charlotte Béquignon-Lagarde quitte la Cour de cassation en 1965, après 19 années durant lesquelles elle aura été la seule femme magistrate3.
- Loi n°46-643 ayant pour objet de permettre aux femmes d’accéder à la magistrature, art. unique ↩︎
- Cité par G. Joly-Coz, Femmes de justice, éd. Enrickb-editions, 2023, p.37 et s. ↩︎
- Pour un complément d’information, voir dictionnaire historique des juristes français XIIe – XXe siècle, éd. PUF, coll. quadrige, ss la dir. de Patrick Arabeyre, Jean-Louis Halpérin et Jacques Krynen, verbo Béquignon-Lagarde Charlotte, par P. Lagarde ↩︎